Plongées sans paliers obligatoires?
Un concept ancien à nuancer désormais
Réf. CMAS/TC/FC/FR/001
Dès la création des premières tables de plongée, le concept de « plongées sans paliers obligatoires » est apparu. De manière impropre, il a été qualifié de « No Decompression Limit (NDL) », ce qui ne correspond pas à la réalité physiologique puisque chaque phase de remontée provoque une décompression et donc une désaturation du gaz neutre accumulé en plongée. Mieux vaut donc parler de « No Stop Limits » (NSL) [1].
Niveau de risque en plongée
Le niveau de risque d’accident de désaturation (ADD) en plongée dépend, en grande partie, de la charge en gaz neutre (azote, hélium) à désaturer. Une approximation de ce niveau de charge a été donnée dès 1957 par Hempleman [2], sous le nom de Facteur Q ou PrT index. La charge en gaz neutre correspond à profondeur (m) multipliée par la racine du temps (min). Le fait d’utiliser la racine du temps est commun en sciences dans les phénomènes de diffusion.
Puis Shield [3] a associé une probabilité d’ADD à cette charge en gaz neutre.
La Comex [4] a complété cette approche en affinant les risques associés.
Le concept de « NSL » au sein d’une même table de plongée
Le concept de NSL est né avec les tables et pas avec les ordinateurs de plongée. Au sein d’une même table de plongée, il est moins « risqué » de plonger dans la courbe des plongées sans paliers obligatoires (NSL) que de faire des paliers obligatoires.
Anciennement, bon nombre d’organisations (PADI, SSI, NAUI…) se sont emparées de ce concept pour définir leurs cursus de formation. En particulier, dans des zones ou pays où les plongeurs ne suivent pas d’examen médical obligatoire et plongent peu, c’est-à-dire 3 à 5 fois par an, il est apparu prudent de limiter les plongées à la zone des paliers non obligatoires au sein d’une même table, ainsi que la profondeur d’évolution.
Pour autant, de nombreuses autres organisations, dont celles membres de la CMAS, créée en 1959 par Jacques-Yves Cousteau, ont eu une approche différente consistant à avoir une exigence supérieure en matière de formation et de suivi médical, permettant d’envisager de manière courante des plongées de loisir avec paliers obligatoires et profondes à l’air, c’est-à-dire jusqu’à 57 ou 60 m (120 m pour les plongées à base d’hélium), selon les pays.
Sur le plan mondial, il apparaît que le niveau de risque d’ADD estimé n’est pas supérieur dans une approche ou l’autre. Il est, dans les deux cas, de l’ordre de 1 à 5 pour 10 000 [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11].
Le concept de « NSL » perd sa validité lorsqu’il est utilisé entre différentes tables ou ordinateurs de plongée
Le développement des ordinateurs de plongée à partir des années 1980/1990 a conduit à adopter des moyens de désaturation fondés sur différents jeux de paramètres avec des conservatismes spécifiques, selon les modèles de machines.
Cela a conduit à réduire considérablement la courbe des plongées sans paliers, afin de réduire les risques d’ADD. L’utilisation des facteurs de gradients (GF) ne fait qu’accentuer la chose.

Huggins, Karl E, Dynamics of decompression workshop, Course taught at the University of Michigan, 1992, p. 7.
Exemple de NSL à 100 fsw (30 m). Plus la NDL est réduite plus le risque d’ADD diminue. Pour plonger 25 minutes à cette profondeur, il est plus sûr d’utiliser un ordinateur (ou une table) qui prévoit des paliers obligatoires (ex. Maximum Likelihood 1% risk tables) plutôt que d’adopter une NSL de 20 ou 25 minutes (tables US-Navy, NAUI ou PADI…).
Comme le rappelle Karl Huggins dans son cours à l’Université du Michigan, « Si, parmi toutes les vérités, vous n'en choisissez qu'une seule et que vous la suivez aveuglément, elle deviendra un mensonge et vous deviendrez un fanatique. Certaines agences de formation imposent les tables de décompression à utiliser en ne présentant à leurs élèves qu'une seule des tables disponibles. Si d'autres options sont évoquées, c'est généralement de manière dépréciative. Cela ne fait que donner aux plongeurs nouvellement formés un faux sentiment de sécurité quant à la technique qui leur est enseignée et qui serait « la vérité ». Ils ne sont pas exposés à d'autres théories, modèles, tables et débats qui existent dans le domaine de la décompression et qui sont nécessaires pour prendre des décisions éclairées et informées concernant leurs propres besoins en matière de décompression. » [12]
CONCLUSION
En conséquence, mieux vaut aujourd’hui utiliser des jeux de paramètres réduisant la courbe des plongées sans paliers et faire des paliers obligatoires, que faire la course à la plus grande NSL.
Les plongées dans la limite des paliers non obligatoires ne nous semblent donc pas devoir être érigées en dogme.
La course de certains fabricants d’ordinateurs de plongée à la plus grande NSL ne nous semble pas valable, particulièrement pour les plongées successives.
De même, « l’idéologie » portée par certains moniteurs auprès de leurs élèves revendiquant le « moins de paliers possible » nous semble constituer une perversion du raisonnement en matière de prévention des risques.
Plus que la NSL, la prévention des risques en plongée passe par 5 piliers :
- Une reprise progressive ;
- Le respect des consignes de l’ordinateur ;
- La prise en compte des facteurs individuels de risque (hydratation, repos physiologique, plongées en nitrox, paliers à l’O2 lorsque les plongées sont particulièrement saturantes, intervalle de 2 à 3 h entre deux plongées, repos physiologique…) ;
- Éviter les profils à risque (yo-yo, dents de scie, remontées rapides…) ;
- Éviter les comportements à risque (Valsalva au palier, effort après la plongée…).
Alain Foret
CMAS TC President
RÉFÉRENCES
[1] Huggins, K. E., Dynamics of decompression workshop, Course taught at the University of Michigan, 1992, p. 7.
[2] Hempleman H. V., Crocker W. E. and Taylor H. J., Investigation into the decompression tables, Report III, Part A: A New Theoretical Basis for the Calculation of Decompression Tables, Part B: A method of calculation decompression stages and the formulation of new diving tables, Great Britain, Medical Research Council, Royal Naval Personnel Research Committee, UPS, Rept. R.N.P 52/708, U.P.S 131, June 1952, 30 pp.
[3] Shields, T.G., P.M. Duff, and S.E. Wilcox, 1989, Decompression Sickness from Commercial Offshore Air-Diving Operations on the U.K. Continental Shelf During 1982 to 1988, Report produced for Department of Energy (DoE) under Contract #TA/93/22/249. Aberdeen: Robert Gordon’s Institute of Technology.
[4] Gardette B. et Plutarque M., Comex 50 ans de recherches et d’innovations, 2012, pp. 140-142. English version available here (https://www.anciencomex.com/pages/8_la_boutiquepag.html).
[5] Bennett P. B., Epidemiology of decompression illness and fatalities in recreational divers, in Proceeding of the 1st European Consensus Conference on Hyperbaric Medicine, Lille, septembre 1994 ; 28 - 34.
[6] DAN: Divers Alert Network, annual report.
[7] Coast Guards, Annual Report, Great Britain.
[8] Enquête annuelle CROSSMED (France), 2003.
[9] Blatteau J.-E., Guigues J.-M., Hugon M., Galland -F.-M., Bilan de 12 années d’utilisation de la table MN 90 par la Marine nationale. Analyse rétrospective de 61 accidents de désaturation, MedSubHyp ; communication présentée lors de la réunion scientifique d’automne de septembre 2004.
[10] Grandjean B., Épidémiologie des accidents de la plongée sous-marine autonome de loisir, in Traité de médecine hyperbare, Ellipse éditions 2002 ; 153 - 159.
[11] Méliet J.-L., coordinateur, Recommandations de bonne pratique pour le suivi médical des pratiquants d’activités subaquatiques sportives et de loisir, MedSubHyp et SFMT, 2020, p.29.
[12] Huggins K. E., Dynamics of decompression workshop, Course taught at the University of Michigan, 1992, p. 8.